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Mathieu Thomas : « Dans chaque situation difficile, je vois le positif »
Objectif, Tokyo. À 34 ans, Mathieu Thomas entend bien participer aux Jeux paralympiques de 2020. Son terrain ? Le para-badminton où il excelle. Soutenu par La Mutuelle Générale, cet as du volant n’aurait jamais pu imaginer pareil projet sans un cancer à l’âge de 17 ans qui le laisse handicapé. De l’art de transformer une épreuve en force : rencontre avec un champion en or, chez lui, à Malakoff, en région parisienne.
Le jour où Mathieu Thomas nous reçoit dans son appartement, il est avec Mila et Soa, les jumeaux nés le 21 décembre dernier, en plein gazouillis. C’est sûr, l’arrivée des premiers enfants du joueur de para-badminton et de sa compagne Émilie a un peu bouleversé le quotidien, comme le confirment les cernes sous les yeux du champion multimédaillé ! Mais cette naissance marque aussi et surtout une nouvelle victoire dans une histoire qui ramène Mathieu Thomas dix-sept ans en arrière.
Un synovialosarcome à 17 ans
En 2001, alors qu’il s’apprête à passer le bac, on lui diagnostique une tumeur cancéreuse. Il a 17 ans. « Pendant une colonie de vacances, des amis m’ont fait remarquer que je présentais une atrophie sur le muscle de la cuisse droite, raconte-t-il. J’avais des douleurs la nuit, mais à cet âge-là, on ne pense pas à la maladie. Et puis, comme je jouais au basket, j’ai pensé que cette asymétrie s’expliquait par le fait que ma jambe d’appel était la gauche. » Rendez-vous est pris chez son médecin traitant et le basique test rotuliense solde par une absence de réponse. Des examens plus approfondis révèlent que Mathieu Thomas souffre d’un synovialosarcome. Localisée au niveau du psoas, un muscle abdominal, cette tumeur maligne s’est développée en compressant le nerf crural qui innerve l’avant de sa cuisse droite. D’où l’atrophie qu’il n’avait auparavant jamais notée.
Le bac attendra
Plus de quinze ans après, il se souvient encore de la phrase du médecin de l’hôpital Cochin, à Paris, qui l’a pris en charge : « Il y a des choses plus importantes dans la vie que le bac. » « C’est à ce moment-là que j’ai compris la gravité du mal dont je souffrais. », confesse-t-il. Suivront six mois de chimiothérapie. « Je n’étais pas du tout déprimé, je ne pensais pas à la mort, j’étais trop jeune pour ça. Mes parents étaient plus affectés que moi, par exemple. Je me suis juste dit que je devais affronter cette maladie. Et je l’ai fait, comme on franchit des étapes. En revanche, je vivais à l’envers, éveillé la nuit, dormant le jour, peut-être pour éviter l’angoisse. Ce rythme me rassurait. » Si son inconscient, croit-il, s’est chargé de jeter un voile opaque sur cette période, il n’a pas oublié combien le sport lui a été d’un grand soutien. C’était même, avoue-t-il, la seule chose qui le tenait. Les éprouvantes séances de chimiothérapie à peine terminées, il file jouer au basket : « Ça me donnait de l’énergie ; mentalement, je pense que ça m’a aidé ». Un état d’esprit positif et combatif qui va bientôt se révéler précieux…
Séquelles à vie
Mathieu Thomas s’est-il dit un jour que le sort décidément s’acharnait ? Sa voix douce et le calme qui émane du double champion de France de para-badminton, en simple et en double, laissent à penser que non. Mais qu’en était-il au lendemain de l’opération chirurgicale réalisée après la chimiothérapie pour retirersa tumeur ? Au réveil, il ne sent plus sa jambe droite. Lors de l’intervention, le nerf de la cuisse a été sectionné. Un dégât collatéral en prévention du risque de rechute. Retirer une tumeur cancéreuse, c’est enlever un peu plus que le « crabe », les tissus alentour. « Le plus gros traumatisme est survenu à ce moment-là, quand on m’a annoncé que, certes, la maladie était derrière moi, mais que maintenant j’étais handicapé. J’ai toujours fait du sport, je me disais que c’était fini. » Le diagnostic des médecins est peu favorable : il marchera en boitillant et ne pourra plus courir. À 18 ans, on n’est pas forcément préparé à entendre cela. « Au final, j’ai démontré que j’arrive à tout faire », fait-il remarquer sans vantardise aucune.
Le long chemin de l’acceptation
De fait, impossible pour une personne qui ne connaît pas Mathieu Thomas de deviner qu’il souffre d’un handicap. Pour autant, il en parle aisément. Mais pour en arriver là, il a dû batailler, et d’abord contre lui-même. « J’ai accepté très tard mon handicap. », souligne-t-il. Le déclic s’est fait en 2015, l’année où il décroche son premier titre de champion de France de parabadminton. Cela fait alors trois ans qu’il pratique cette activité, dans la catégorie handisport. Ce n’est en effet qu’en 2012, après avoir arrêté le basket, tâté du cyclisme et du badminton sur le mode loisir, qu’il décide de cesser de se confronter aux « valides » : « Le jour où j’ai pu dire que j’étais handicapé, je me suis senti soulagé. » De même, l’élève moyen qu’il était jusqu’à l’annonce de son cancer se métamorphose en brillant étudiant. « Je mesurais la chance de pouvoir aller à l’école et, surtout, je me disais que je n’avais plus de temps à perdre. » Diplômé de l’Institut supérieur d’électronique de Paris, il se lance dans le digital, son autre passion avec le sport.
La force du dépassement
« Aujourd’hui, ce handicap est une chance pour moi. », affirme-t-il. Les Jeux paralympiques de Tokyo de 2020 sont désormais à sa portée. Un rêve inimaginable il y a seulement dix ans. « Mon handicap est la plus belle chose qui me soit arrivée. Cela m’a permis de découvrir que j’avais cette force en moi de pouvoir, dans n’importe quelle situation difficile, aller chercher le côté positif pour en faire quelque chose de grand. » Et difficile de lui résister. « Quand il a un projet en tête, personne ne peut l’arrêter », s’amuse Émilie. D’ailleurs, autant le suivre ! C’est en famille qu’ils seront, tous les quatre, à Rodez (Aveyron), début novembre, pour les championnats d’Europe de para-badminton, où Mathieu Thomas tentera le doublé (simple et double), première grande étape sur la route du Japon.