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Santé mentale des jeunes : l’état d’urgence ?

Plus de trois ans après la crise sanitaire, une nouvelle épidémie, plus discrète celle-là, frappe les Français. Cette fois, ce ne sont pas les seniors qui sont en première ligne, mais bien les jeunes. Selon une récente étude de l’université de Bordeaux, 41 % des étudiants de 18 à 24 ans souffrent de troubles dépressifs modérés à sévères. Ils étaient 26 % avant la crise sanitaire. Comment expliquer cette souffrance psychologique qui affecte la jeunesse et perdure ? A-t-on les moyens de réagir ? Les réponses du Pr Florian Ferreri, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine (Paris).

Doctopress
Publié le 01/10/24
Temps de lecture 4 min

Quel impact a eu la crise sanitaire sur la santé mentale des jeunes ?

Pr Florian Ferreri – La crise sanitaire a eu un effet révélateur. Si durant les premiers jours du confinement, les jeunes ont pu avoir le sentiment d’être en pause voire en vacances, ils ont vite réalisé que les interactions sociales étaient essentielles à leur équilibre. Du jour au lendemain, tout s’est arrêté. Non seulement ils ne pouvaient plus voir leurs amis, mais en plus, ils ne pouvaient plus pratiquer d’activité physique, laquelle est tout aussi indispensable à une bonne santé mentale. Et puis, il faut se rappeler le contexte très anxiogène de l’époque, avec le décompte quotidien des décès, les parents qui, eux-mêmes, avaient peur de contracter le virus et s’inquiétaient pour leur emploi… Cette espèce de huis-clos a été particulièrement toxique.

L’infection par le virus du Covid peut-elle accroître le risque dépressif ?

F.F. – C’est une question tout à fait légitime. On a en tête la détresse respiratoire liée au virus, mais effectivement, il ne faut pas oublier que la maladie a un impact sur le corps entier, en provoquant notamment une inflammation cérébrale. Il n’existe pas de données spécifiques concernant le lien entre Covid et risque dépressif. En revanche, on possède des données plus générales du risque dépressif en présence d’une inflammation ou d’une infection, soit dans l’apparition du trouble, soit dans le fait que le trouble perdure au-delà des délais habituels. Ça, c’est assez bien documenté.

C’est donc une explication, ou du moins une hypothèse, crédible ?

F.F. – C’est une hypothèse qui n’explique probablement pas l’ensemble des symptômes, mais qui pourrait permettre de comprendre pourquoi certains jeunes, après avoir été infectés par le Covid, décrivent des difficultés pour retrouver de l’énergie et de la motivation. Manquer d’énergie quand on est jeune n’aide pas à se projeter dans l’avenir, et c’est très déprimant.

L’usage des réseaux sociaux augmente-t-il le risque de dépression ?

F.F. – Le manque de lien social est un facteur de risque de dépression. De ce point de vue, on pourrait penser que les réseaux sociaux, en permettant aux jeunes de ne pas rester isolés, représentent une aubaine. C’est d’ailleurs vrai pour certains. Mais pour d’autres, les réseaux sociaux font entrer dans leur quotidien, de façon très proche et sans filtre, à la fois la détresse des uns et le trop grand bien-être des autres. Ce n’est pas simple pour un jeune de réussir à se calibrer dans ces conditions : il reçoit des informations négatives qui risquent de le contaminer et, en même temps, des informations trop positives qui peuvent lui donner l’impression que sa vie est terne et fade. C’est un entre-deux bien difficile à ajuster.

Les réseaux véhiculeraient aussi une vision "romantique" de la mélancolie

F.F. – La mélancolie, pour un psychiatre, c’est la forme extrême de la dépression avec un haut risque suicidaire. Malheureusement, la mélancolie a aussi un sens poétique. Elle est présentée comme une souffrance légitime, en quelque sorte. Cette vision de la mélancolie peut contaminer certains propos et finir par envahir durablement l’espace individuel du sujet qui ne pense pas à solliciter de l’aide.

Comment faire face à cette dégradation de la santé mentale des jeunes ?

F.F. – Il faut miser sur la prévention. Cela passe par une alimentation équilibrée, une activité physique suffisante, mais aussi par une certaine hygiène vis-à-vis des réseaux sociaux : le temps passé sur les écrans, le type d’informations qu’on consulte, la capacité de créer un groupe avec lequel échanger et relativiser… Lutter contre l’usage de substances – alcool, cannabis et autres – fait également partie de la prévention. On sait que ces produits favorisent le risque de dépression, en particulier chez les jeunes. Et puis il y a l’environnement : comment peut-il être modifié ou vu de façon plus optimiste ? Le changement climatique, par exemple, est à l’origine d’une éco-anxiété importante au sein de la jeunesse. Sans en nier la réalité scientifique, il est important de dire aux jeunes qu’il y a des solutions. Penser qu’il est trop tard pour agir et qu’il n’y a plus rien à faire, c’est extrêmement oppressant !

Les jeunes consultent-ils suffisamment ?

F.F. – Globalement, il y a un retard de prise en charge. Ce n’est pas forcément le fait des jeunes eux-mêmes, mais certains peuvent craindre d’être stigmatisés, pris pour des fous, alors que l’anxiété et la dépression n’ont rien à voir avec la folie. Au contraire : c’est souvent parce qu’on est très ancré dans la réalité qu’on s’en inquiète. Cette peur de la stigmatisation, c’est une partie du problème. Les a priori de certains jeunes sur tel ou tel type de prise en charge, notamment quand on aborde la question des médicaments, sont également un frein. Enfin, l’offre de soins reste insuffisante au regard du pourcentage de jeunes qui souffrent de troubles de l’humeur.

A-t-on encore la capacité de prendre en charge ces jeunes en souffrance ? 

F.F. – Le message qu’il faut faire passer, c’est que si un jeune est en souffrance, on trouvera des solutions. Cela étant, avoir accès aujourd’hui à un psychiatre ou à un psychologue, facilement, rapidement et à moindre coût, est une réelle difficulté. Il y a de grandes disparités sur le territoire. Et c’est aussi le rôle des grosses institutions, notamment le lycée et l’université, de proposer des consultations rapides, en plus des consultations, publiques ou non, qui sont disponibles.

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