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Equilibre vie professionnelle et vie personnelle : « Nous n’avons pas à tout faire ! »

Entre vie professionnelle et gestion du quotidien, la charge mentale peut vite devenir invivable ! Oriane Savouré-Lucas observe cette difficulté récurrente chez de nombreuses personnes qu’elle accompagne. Après plusieurs expériences professionnelles salariées dans l’accompagnement au changement des organisations, des collectifs et des individus, elle décide de se lancer à son compte en 2019 comme coach professionnel avec un même fil rouge : accompagner ses clients à revenir à leurs essentiels et à entreprendre leur vie à leur manière.

Publié le 04/02/22
Temps de lecture 6 min

La Mutuelle Générale : Selon vous, la crise sanitaire que nous venons de traverser a-t-elle engendré une remise en cause de ce qu’est l’équilibre vie pro/vie perso ?

Oriane Savouré-Lucas : Cette période n’a fait que révéler des choses qui étaient déjà présentes à l’échelle individuelle ou collective. Par exemple, la difficulté à établir des frontières claires entre vie professionnelle et vie personnelle, c’est vrai. Cette réalité existait avant la crise avec des smartphones qui pouvaient déjà sonner ou être consultés à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit. L’outil n’est pourtant qu’un outil et l’un des enjeux de la crise a été d’amplifier la conscience de cette réalité et l’importance d’établir des limites. Et cela est d’autant plus vrai avec le développement de nouveaux usages comme la visioconférence en télétravail depuis son domicile. L’erreur serait d’attendre que la société pose des limites pour nous.

La Mutuelle Générale : Y a-t-il un profil de personnes plus concernées par cette difficulté ?

Oriane Savouré-Lucas : Il y a des personnes engagées que je qualifie de « piliers », il s’agit des personnes qui fédèrent souvent, qui font référence, celles que l’on va spontanément solliciter pour demander de l’aide par exemple ou donner de nouvelles responsabilités comme une place au sein d’un comité de direction, la présidence d’une association ou de la liste des représentants des parents d’élèves… Souvent elles sont heureuses de contribuer au collectif et peuvent vite se retrouver prises à leur propre piège avec un trop grand nombre d’engagements. Or, elles se sentent par la suite obligées de tenir leurs promesses et de tout « concilier ». Il est dans la logique de la personne « pilier » de chercher à honorer tous ses engagements à tout prix, devenant alors la variable d’ajustement de son emploi du temps. Les besoins, les attentes, les sollicitations des autres prennent le pas sur son énergie et son bien-être. Les personnes « piliers » pensent qu’elles sont en charge jusqu’au point de rupture qui peut se traduire par un burn-out personnel ou professionnel.

La Mutuelle Générale : On parle aussi souvent de la charge mentale assumée par les femmes actives, comment se caractérise-t-elle ?

Oriane Savouré-Lucas : Les femmes ont tout à gagner à s’extraire du poison de la comparaison, très insidieux, qui favorise des positions de guerrière. Souvent la femme active prend la posture d’un dieu « Shiva », espérant renvoyer l’image que tout gérer est facile. Les réseaux sociaux véhiculent ces images idéalisées de la famille parfaite où l’on mange bio, où chacun fait plusieurs activités par semaine, où tout le monde est heureux. Rompre avec ces idéaux, sortir de la tyrannie de la performance, revenir à plus d’authenticité, de simplicité me semble salutaire.

Les femmes actives dont la charge mentale est forte pourraient déjà se répéter et appliquer les mantras suivants : « Je n’ai pas à tout faire », « Tout n’a pas besoin d’être fait ni parfait » ; et réfléchir à la manière d’élaguer leur agenda.

En pratique cela revient, par exemple chaque dimanche soir, à évaluer l’énergie nécessaire pour assurer la semaine et l’énergie dont on dispose réellement : « Ma semaine nécessite une énergie de 9/10 alors que mon énergie actuelle est à 6/10. Que dois-je faire ? » Si la personne choisit de maintenir son planning intact, elle va sans doute réussir à tout faire mais finira sa semaine à 4/10 d’énergie. Elle sera fatiguée, affalée sur son canapé à regarder des séries ou encore de mauvaise humeur. Son bien-être global aura baissé. Il est essentiel de prendre en considération son état d’énergie avant de se lancer et se rappeler que nous ne sommes pas la variable d’ajustement de notre emploi du temps mais bien la clé de voute.

Pour se préserver, il faudrait donc commencer par se demander : « Qu’est-ce que je peux reporter ? » ; « Qu’est-ce que je peux supprimer ou déléguer ? ». Au début cela semble difficile, voire impossible mais progressivement les petits changements interviennent et l’on retrouve de l’oxygène.

La Mutuelle Générale : Vous évoquez également dans votre podcast « Avez-vous choisi ? » le syndrome du bon élève, pourriez-vous nous l’expliquer ?

Oriane Savouré-Lucas : Le syndrome du bon élève peut être un avantage tout comme un handicap dans la vie professionnelle. Les bons élèves à l’école sont ceux qui savent « cocher » les cases, ils vont s’engager avec application et loyauté, et tout donner pour réussir la mission qu’on leur a confiée. Cependant en entreprise, un bon élève, qui travaille vite et bien, va avoir tendance à faire beaucoup plus que les autres sans forcément communiquer sur son travail ou sans alerter quand la charge devient trop importante. Or la reconnaissance arrive rarement toute seule en entreprise. D’autant plus qu’il y a des personnes plus stratèges comme à l’école. Pour un profil « bon élève » il est important d’apprendre à doser ses efforts pour faire bien sans faire parfaitement, et d’oser poser ses limites, refuser un dossier ou encore oser demander une promotion et évoquer les perspectives d’avenir. Les bons élèves ont tout à gagner à se manifester sans attendre l’autorisation, la reconnaissance ou la validation de l’extérieur.

La Mutuelle Générale : Selon vous quelles sont les étapes à réaliser pour trouver ou retrouver un équilibre global ?

Oriane Savouré-Lucas : Déjà avant de doser et d’oser, il est bon de se poser, appuyer sur pause et de choisir ses priorités. On peut retenir cinq points clés :

  • il y a un travail intérieur à réaliser pour comprendre ce qui est important, essentiel pour soi. Se demander par exemple : « Quel prix vais-je payer si je continue ainsi ? ».
  • ensuite, faire une mise au point sur sa vie actuelle et dissiper le brouillard, clarifier ses intentions, ses envies, ses choix. C’est une mise au point pour prendre en considération sa vie actuelle. Pas une vie idéalisée mais celle qui est réelle.
  • troisièmement, dézoomer pour choisir ses priorités : « Quel est l’essentiel dans mon quotidien ? », « Quels sont les regrets que je n’aimerais pas avoir dans trente ans ? » ; « A l’échelle d’une journée, quel temps de qualité je passe avec les personnes qui comptent pour moi ? » Je ne dis pas que la vie personnelle doit primer sur la vie professionnelle, chaque personne a sa propre grille de valeurs et ses propres attentes. Le but est de définir le cap que l’on souhaite se fixer et les actions à mener pour y parvenir et ne pas perdre de vue ses essentiels.
  • quatrièmement, rendre l’implicite explicite que cela soit dans la vie personnelle ou la vie professionnelle. Par exemple pour un manager qui n’arrive pas à avancer sur ses dossiers de fond car il est sollicité en permanence par des collaborateurs qui rentrent dans son bureau comme dans un moulin, il faut rendre l’implicite explicite. Être plus sec ou de mauvaise humeur ne va rien changer. Il faut exprimer ses limites et par exemple choisir des temps où la porte sera fermée pour avancer sur les dossiers. Si l’on ne pose pas ces limites on se fait happer.
  • enfin prendre des rendez-vous avec soi-même et sans écran. Rien à voir avec le fait de s’hypnotiser en enchaînant les épisodes d’une série sur le canapé mais plutôt faire de la place pour soi et surtout seul. Cela permet de mieux se connaître et de redécouvrir sa créativité, sa personnalité. Par exemple il peut s’agir d’aller au musée ou au restaurant seul. Pour mieux se connaître, il est essentiel de passer du temps avec soi-même. Le rendez-vous avec soi doit être aussi important qu’un rendez-vous avec son responsable : attention à ne pas le reporter voire à l’annuler au profit d’un rendez-vous professionnel ou d’un entrainement de football de sa fille ! L’idée est de prévoir un laps de temps avec soi-même et de faire de ce rendez-vous un rendez-vous non négociable. La majorité des personnes qui me sollicitent pour un coaching ne s’étaient jamais véritablement accordées une plage horaire officielle dans leur agenda pour revenir à elles. C’est souvent le point de départ vers une vie qui nous correspond mieux.

Crédit photo : Fabien Tijou

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