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Marcher pour retrouver le sens de sa vie ?

Se déconnecter du quotidien, retrouver le plaisir des sens, s’ouvrir au monde, se ressourcer… Les adeptes de la marche ne cessent de vanter ses vertus. Une chose est sûre : marcher, c’est permettre à sa pensée de s’envoler. David Le Breton, sociologue, Axel Kahn, généticien et Stéphane Cnocquaert, marcheur, nous le confient.

Publié le 08/08/18
Temps de lecture 4 min

Prendre du recul sur sa vie. Se consacrer pleinement à soi. Laisser libre cours à ses pensées. Pour tous les passionnés de la marche, avaler des kilomètres chaque jour est comme une drogue qui permet de couper avec le réel. « C’est ainsi que je me vide la tête et que j’oublie mes problèmes », confie Stéphane Cnocquaert, 58 ans, président du Randonneur club des Monts de Flandres. Marcher, c’est avant tout se donner du temps pour penser. Se souvenir de ceux qui ne sont plus. Développer des projets. Être entièrement disponible pour l’autre si l’on choisit de marcher en couple ou en groupe.

De l’avis de David Le Breton, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, la marche est une « échappée belle », qui permet de suspendre les contraintes de la vie courante. Fini les ruminations ! Sans s’en rendre compte, on laisse derrière soi ce qui nous entrave, pour s’ouvrir au monde et apprendre sur soi-même. « Marcher est une activité naturelle, accessible à tous, qui permet de vite lâcher prise car on se laisse happer par l’environnement », souligne le sociologue, lui-même grand marcheur. « Quand on marche, on développe des pensées tranquilles et heureuses, que rien n’arrête puisque la nature n’a pas de murs. On est alors entièrement tourné vers la découverte et l’expérience. »

Ralentir pour savourer

Marcher, c’est aussi renouer avec certaines valeurs, comme le silence, devenu trop rare dans notre société hyperconnectée, saturée par les musiques d’ambiance assourdissantes et les bruits en tout genre. Un silence pourtant essentiel pour « reprendre son souffle, retrouver son équilibre intérieur, se confronter à soi-même, laisser place à la contemplation ». Et David Le Breton d’enchaîner avec l’éloge de la lenteur, une autre valeur malmenée aujourd’hui. « La marche est une forme de résistance aux impératifs de vitesse. Il faut apprécier ces moments de ralentissement qui font tant de bien à notre esprit pressé, parasité par les tracas du quotidien. » Sans oublier les retrouvailles avec les sens. Qu’il s’agisse de l’ouïe, de la vue, du toucher, tous nos sens sont sollicités lors de cet effort, retrouvant leurs fonctions primaires. Stéphane Cnocquaert confirme : « Quand je marche seul, je profite à fond du calme, de l’air pur, des paysages. J’ai le sentiment de respirer enfin, de contempler vraiment les choses, en somme de vivre intensément. Marcher m’emmène ailleurs. » Certainement dans un monde où créativité et imagination peuvent enfin s’exprimer. Émerveillement, recueillement, notre pensée sort des sentiers battus et nous conduit parfois là où elle ne s’est jamais aventurée. Les souvenirs et les idées fusent : on se sent plus riche.

Trois conseils avant de partir en randonnée

  • Misez sur la préparation ! L’entraînement physique (notamment au portage), le bon état de santé (hygiène de vie, alimentation) et l’étude du trajet et des hébergements sont incontournables, surtout si le parcours requiert de l’endurance.
  • Quoi prévoir : une carte, une boussole ou un GPS, un téléphone portable, un altimètre, une trousse de secours, de l’eau ;
  • Quels itinéraires ? Débutants : une boucle sur deux jours dans la campagne française. Confirmés : les trajets GR5, GR10, GR20 ou les itinéraires culturels (St-Jacques, St-Martin).

Revenir plus vivant

Ce qui aide aussi à reprendre la route, c’est cet apaisement qui survient après l’effort. « Quand vous rentrez d’une marche de trois semaines au Népal, vous êtes vidé mais ressourcé, au clair avec vos idées. La marche a ce pouvoir incroyable de donner le sentiment d’avoir atteint un but, elle confère de la confiance en soi », assure Stéphane Cnocquaert. Un véritable « équilibre de vie » pour ce randonneur qui a vaincu « des moments difficiles », dont un cancer, grâce à cette pratique. David Le Breton, lui, parle d’une marche « heureuse », synonyme de renaissance, de provision de souvenirs. « Marcher comporte une dimension initiatique : on casse sa routine, on s’ouvre à la beauté du monde, on renouvelle sa vie, ce que l’on ne se l’autorise pas en temps normal… »

Sans négliger évidemment l’importance de l’effort physique et de ses bienfaits connus sur le corps (entretien du système cardio-vasculaire, lutte contre les douleurs articulaires, aide au sommeil, à la régulation du transit, évacuation du stress, etc.). « Le corps est un outil formidable à exploiter, note le sociologue. Mais il est trop souvent mis entre parenthèses au quotidien. Ce retour à l’effort mesuré contribue à se sentir passionnément vivant une fois rentré. » Convaincus ? Alors en avant, marche !

Axel Kahn : "Marcher, c'est restructurer sa pensée"

« Petit déjà, je parcourais des kilomètres à pied dans la campagne, aux côtés de la paysanne qui m’a élevé. En grandissant, j’ai gardé cette habitude : j’ai beaucoup marché à travers la France, que je connais maintenant très bien. L’été, j’étais capable de parcourir 400 km, en autonomie complète sur une dizaine de jours. Pour moi, marcher n’est pas une activité, c’est une manière d’être. Aujourd’hui Parisien, je ne prends presque jamais les transports : ces 10 km par jour sont mon entraînement quotidien. J’ai fait des marches magnifiques dans ma vie, dont deux de plus de 2 000 km chacune. Le pied du Pic Carlit, dans les Pyrénées-Orientales, et le pied du Mont Gélas, dans les Alpes maritimes, sont des marches qui m’ont particulièrement marqué. Faisant notamment coexister la présence d’un endroit magnifique et celle d’une femme aimée. Le marcheur est dans la situation la plus propice au déploiement de l’émotion et de la pensée. Quand on peut penser sans discontinuer pendant sept à dix heures par jour, il est plus facile d’échantillonner ses souvenirs, d’avoir des intuitions philosophiques, de consolider des hypothèses. Marcher permet de restructurer sa pensée. Mon dernier livre a ainsi été pensé en chemin. »

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