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Antibiorésistance : quoi de neuf ?

Publié le 17/09/19

On le savait, les germes font de la résistance. Les campagnes de sensibilisation lancées en 2002, intitulées « Les antibiotiques, c’est pas automatique » avaient marqué les esprits et fait reculer la consommation d’antibiotiques. Mais depuis, celle-ci est repartie à la hausse. Bonne nouvelle : modifier les prescriptions d’antibiotiques permet de faire reculer les résistances qui se sont développées dans le cadre d’une utilisation anarchique de ces médicaments. Par ailleurs, de nouveaux antibiotiques arrivent sur le marché. Il est indispensable d’apprendre à les utiliser convenablement, afin d’en tirer le meilleur parti.

Une situation intenable

Les antibiotiques ont sauvé des millions de vies mais ces traitements voient aujourd’hui leur efficacité remise en cause du fait de l’émergence de bactéries multirésistantes. Dans toute l’Europe, les résistances aux antibiotiques ont flambé cette dernière décennie. Un exemple : entre 2002 et 2015, les « entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre élargi » (BLSE) comme Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae ont été multipliées par 6. Pour précision, les bêtalactamases à spectre étendu (BLSE) sont des enzymes produites par des microbes ou bactéries qui peuvent les rendre résistants à certains antibiotiques.
En France, leur incidence est passée de 1,62 à 2,44 pour 1 000 patients/jours en France entre 2009 et 2013 seulement.

Ces résistances sont entre autres liées à une mauvaise prescription de ces molécules antibiotiques : trop d’antibiotiques (notamment dans les infections virales respiratoires, la majorité des rhumes, angines et otites, etc.) mal choisis et sur une durée inadéquate. Malgré les campagnes des pouvoirs publics qui se sont succédé, ciblant les médecins, les vétérinaires et le grand public, la France reste le premier consommateur d’antibiotiques en Europe.

Antibiotiques : « shorter is better »

Sur fond de consommation d’antibiotiques repartie à la hausse depuis 2008, pour lutter contre la progression des résistances, la tendance est de raccourcir les durées d’antibiothérapies afin de limiter la sélection de bactéries mutantes résistantes. « La littérature a battu en brèche un dogme qui a longtemps prévalu, souligne le Pr Franck Bruyère, responsable du comité d’infectiologie de l’Association française d’urologie (CIAFU) : ça n’est pas parce que l’infection est plus grave que la durée d’antibiothérapie doit être plus longue. Il n’y a pas plus de complications si l’on réduit la durée de l’antibiothérapie ».

Plusieurs exemples illustrent cette stratégie : depuis la dernière révision en 2018 des recommandations de la Société de pathologie infectieuse de langue française et de l’Association française d’urologie (SPILF-AFU), dans l’infection urinaire (cystite aiguë) non à risque de complication, le traitement monodose (en une seule fois) par fosfomycine a prouvé une efficacité comparable à ce même traitement sur 3 jours. Dans la cystite à risque de complication, si le traitement par pivmecillinam se maintient entre 5 à 7 jours selon les études, le comité d’infectiologie de l’AFU privilégie désormais la prescription sur 5 jours. Pour leur part, les pyélonéphrites graves seront plutôt soignées par céphalosporines 3e génération (souvent associées à l’amikacine). Dans l’optique de réduire les durées de traitement, les recommandations les préconisent sur 7 jours, contre 10 jours dans la majorité des pays européens.

Cette « décroissance thérapeutique » s’observe également dans le cas des infections urinaires masculines (prostatites, cystites, infections post-opératoires…). « De quatre semaines de traitement antibiotique avec les quinolones, illustre Franck Bruyère, on est passé à deux semaines (trois semaines étant la durée réservée aux patients avec comorbidités). L’étude française PROSTASHORT est même en train de comparer le traitement de 7 jours versus 14 jours dans les prostatites aiguës (traitées par ofloxacine) ». Néanmoins une question demeure sans réponse : un traitement trop court ne favoriserait-il pas la récidive des infections ?

Limiter la pression de sélection

Par ailleurs, la seconde considération en matière d’antibiothérapie est de privilégier des molécules dont la pression de sélection est la plus faible possible. La pression de sélection est un phénomène qui se traduit par une évolution des espèces vivantes (ici les bactéries) soumises à certaines contraintes environnementales (ici l’abondance d’antibiotiques). La pression de sélection sur les populations bactériennes entraîne l'apparition de souches résistantes.
C’est le cas de l’antibiotique fosfomycine qui affiche un taux de résistance d’à peine 5% en 30 ans, contrairement à un autre, le pivmecillinam, qui favorise fortement les mutations, raison pour laquelle il avait été délaissé ces dernières décennies. « D’où la nécessité d’une réévaluation à 24-48h devant toute antibiothérapie, insiste le Pr Bruyère, et de ne pas hésiter à "désescalader" selon le résultat de l’antibiogramme, si le germe y est sensible et que la situation clinique s’y prête (le patient se porte-t-il mieux, supporte-t-il bien le traitement ?).
Les prescriptions d’antibiotiques sont probabilistes. Lorsqu’on choisit un traitement, on estime avoir 90 ou 95 % de chances d’avoir opté pour le meilleur mais l’antibiogramme peut montrer qu’un autre médicament, dont la pression de sélection est inférieure, serait plus adapté ». Le médecin sera alors amené à modifier sa prescription (changement d’antibiotique, de dose, de durée...). Cette réévaluation systématique à 48 h est un véritable changement de paradigme. Pendant longtemps il était inconcevable – sauf cas particulier – de modifier un traitement antibiotique en cours de route.

Enfin, la troisième considération en matière d’antibiothérapie est la capacité d’abstention. « Bien prescrire un antibiotique c’est également savoir ne pas en prescrire dans certaines situations, car il existe des circonstances où prescrire à tort des antibiotiques augmente le risque infectieux », rappelle le Pr Bruyère.
Ainsi, parmi d’autres, un essai clinique mené sur des femmes souffrant de bactériurie (présence de germes dans les urines, mais sans symptôme) a comparé un groupe traité par antibioprophylaxie (prévention médicamenteuse par antibiotique) et un groupe non traité*. Le groupe traité a manifesté plus d’infections symptomatiques que l’autre.

Où en est la recherche ?

La résistance aux antibiotiques concerne particulièrement certaines souches tels le célèbre staphylocoque doré (Staphylococcus aureus) ou l’Acinetobacter baumannii... Mais des espèces courantes comme l’Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae ont également développé des mécanismes de résistance aux antibiotiques appelés céphalosporines de 3e génération. Il faut alors recourir à d’autres molécules, les carbapénèmes. Or, cette nouvelle classe d’antibiotiques n’est pas efficace à 100 % car certaines bactéries (entérobactéries) produisent des enzymes (carbapénémases) qui détruisent le médicament. C’est pourquoi, de nouvelles molécules sont apparues ou sont en cours de développement (ceftolozan/tazobactam).
Par ailleurs, l’association de plusieurs médicaments permet de limiter l’apparition de résistances notamment en inhibant l’action des bêtalactamases, ces enzymes qui aident les bactéries à développer des mécanismes de résistance. Parmi les autres pistes de recherche en cours figurent les phages (virus n'infectant que des bactéries) ou encore des molécules qui agissent non pas en tuant la bactérie mais en bloquant les systèmes qui la rendent pathogène.

* Clinical Infectious Diseases, Volume 55, Issue 6, 15 September 2012, Pages 771–777,

Hélène Joubert, journaliste, d’après un entretien avec le Pr Bruyère, responsable du Comité d’infectiologie de l’AFU (CIAFU) et le congrès 2018 de l’Association française d’urologie.

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