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Le burn-out, les enfants aussi ?

Publié le 12/09/17

Et si on en demandait trop à nos enfants ? Par analogie avec « le syndrome d’épuisement professionnel » ou « burn-out » de l’adulte, les enfants, épuisés nerveusement, peuvent aussi craquer sous la pression. Béatrice Millêtre, psychothérapeute, docteur en psychologie et spécialiste en sciences cognitives, vient d’écrire le premier ouvrage consacré au burn-out des enfant. Elle répond à nos questions.

« Burn-out », ce mot anglo-saxon signifie « syndrome d’épuisement professionnel ». Pourquoi l’utiliser chez l’enfant ?

Béatrice Millêtre : Parce que les symptômes mais aussi les causes sont exactement identiques à ceux vécus par les adultes dans le monde professionnel : il conjugue une énorme fatigue, un désinvestissement des activités ainsi qu’un sentiment d’échec permanent. Cela va bien au-delà du simple stress, c’est un épuisement nerveux qui peut conduire jusqu’au craquage.
L’enfant a le devoir de travailler à l’école. Il s’agit d’un travail à part entière, qu’il n’a pas choisi et qu’il ne peut rejeter.
Les enfants en burn-out ne voient pas le sens, le bénéfice de leur travail et de leur investissement à l’école par rapport à leurs propres valeurs. Ils souffrent d’un manque de reconnaissance de leurs efforts de la part de leur parents, enseignants etc.
Comme chez l’adulte, le burn-out possède les caractéristiques d’absence de sens, de perte de repères et d’incompréhension. Chez l’enfant, l’absence de sens signifie qu’il ne comprend pas ce qu’on lui demande, l’absence de logique entre ce qu’il constate et ce que l’on attend de lui. Le burn-out des enfants peut ainsi se définir comme un épuisement nerveux lié à la réussite : exigences élevées, tant sur le plan scolaire que des activités, de la part des parents, des enseignants et des copains, qui conduit l’enfant à un perfectionnisme irréalisable.

Vous dites qu’un adolescent sur trois est aujourd’hui en burn-out, ou en passe de l’être. Est-ce un phénomène émergent ?

Béatrice Millêtre : Des études ont été menées, comme celle de l’UNICEF où 40% des enfants de 6-18 ans ressentaient une souffrance psychologique (1). Ce mal-être est retrouvé dans une autre enquête de 2011. 66 % des étudiants ont vécu une période de plus de 15 jours pendant laquelle ils se sont sentis régulièrement stressés. Et ils sont 48% à avoir même éprouvé de la tristesse ou de la déprime (2).
Toutes les classes d’âge sont concernées, à partir de neuf ans selon ma propre expérience. Jusque très récemment, je recevais environ un jeune par an pour des problèmes de craquage nerveux, de dépression ou de burn-out. Ils sont aujourd’hui plus de cinq par semaine à passer ma porte.
Chez eux, le burn-out est principalement dû à la pression phénoménale que nous exerçons sur eux, qu’elle soit sociale, familiale, amicale, éducative. On exige trop de nos enfants, et surtout pas au bon âge. Ils se mettent alors eux-mêmes une pression personnelle. Ils sont suroccupés, n’ont pas le droit de s’absenter de l’école, doivent être "premier" partout, parfaits en tout, sans plus aucun droit à l’erreur… Ils deviennent un objet de réussite, ont une obligation d’excellence scolaire, et non plus celle de passer dans la classe supérieure. Lorsque 14 de moyenne générale entraîne un avertissement ou la mise en place d’un soutien scolaire, l’enfant pense alors qu’il n’est qu’un bon à rien. Cette pression scolaire est probablement due à la crainte de l’avenir par les parents, transmise aux enfants. Réussir à l’école, c’est une garantie minimale pour s’assurer un avenir plus rose. Et en effet, 52 % des 8‑10 ans ressentent cette peur de la pauvreté (63 % chez les 11‑14 ans) et qui s’accompagne de celle de connaître le chômage
(58 % et 71 %) (3).
Plus possible non plus de pratiquer une activité extra-scolaire, sportive ou non, sans mettre un pied dans la compétition. Les enfants qui ne parviennent pas à tirer leur épingle du jeu ou à satisfaire les adultes se détournent alors de l’activité, et vont alors toucher à tout, souvent sans pouvoir s’approprier un loisir.
On leur demande par ailleurs d’être autonome et d’endosser précocement des responsabilités.
Mais il ne faut pas jeter la pierre aux parents qui -de façon légitime- se sentent perdus, entre les injonctions sociétales de multiplier les activités pour leur enfant et de se ménager du temps pour eux-mêmes.

Comment repérer les premiers signes d’épuisement chez son enfant ?

Béatrice Millêtre : Déjà, certaines personnalités sont plus à risque, à savoir celles qui ont pour trait d’être attentionné, altruiste, sensible, et qui ont besoin de sens à ce qu’elles font. 
Parmi les signes avant-coureurs d’un burn-out, la difficulté à bien dormir, souvent mis à tort sur le compte d’un examen, d’un sport etc. Dans l’épuisement, la personne ne parvient pas à trouver un sommeil de qualité, mais sans qu’il n’y ait de raison particulière. Conséquence, les enfants sont irritables, de mauvaise humeur, contestataires, à fleur de peau (réactions exacerbées, crises disproportionnées). Ils développent une anxiété, un stress, un épuisement nerveux, avec parfois des envies de fugue et même de suicide. L’apprentissage, la concentration, l’organisation deviennent difficiles voire impossibles. A cette perte d’efficacité s’ajoute une perte d’énergie et d’envies, une distance avec les amis, une fatigue.

Mais il n’est pas trop tard pour agir !

Béatrice Millêtre : En effet, c’est le début du parcours du combattant, pour l’enfant et ses parents mais il faut alors agir vite et parfois en ayant recours aux urgences pédiatriques ; 30 % des jeunes ont des idées suicidaires et 10 % ont fait des tentatives de suicide.
Il faut savoir s’arrêter, imposer une coupure scolaire d’une semaine ou plus. Souffler. Se reposer. Comme chez l’adulte, il est possible d’intervenir avant le craquage nerveux, avant que ne surviennent la phase dépressive et la nécessité de tout reconstruire (personnalité, rapport au monde).
L’enfant a la possibilité de faire un break même au cours de l’année scolaire. La Loi est mal comprise. Elle stipule que l’enfant n’a pas droit à plus de quatre demi-journées d’absence non justifiées. Mais la justification d’une absence tient en quelques mots : « Absence pour raison personnelle » ! Les parents doivent alors se rapprocher de l’équipe pédagogique et consulter un psychologue pour enfant ou un pédopsychiatre. Il pourra alors s’opérer un rééquilibrage chez l’enfant : « je comprends le monde », « je trouve du sens », « l’avenir est à moi », « je suis unique et quelqu’un de bien », « je sais où je vais », « on me fait confiance » et « je suis indulgent avec moi-même ».

Un message aux parents ?

Béatrice Millêtre : Éviter le mégamorphisme (voir les enfants plus grands, plus âgés qu’ils ne le sont et les rendre adultes trop tôt) n’est pas très compliqué : cela revient à ne demander à nos enfants que ce dont ils sont capables.
L’enfant doit penser par lui-même, exprimer ses besoins (physiologiques mais aussi affectifs, sociaux et psychologiques), ses désirs, ses goûts.
Parents, déculpabilisez : vous n’êtes pas responsables de son burn-out, mais vous êtes responsables qu’il aille mieux, qu’il guérisse et qu’il ne chute pas. Avec des mots-clés suivants : pour le parent : « c’est moi l’expert », pour l’enfant : « le sens de ma vie », « ensemble » et pour tous : « le besoin de souffler » et « partager ».


Béatrice Millêtre consacre aussi une large partie de son ouvrage à des repères pratiques pour appréhender les grandes lignes du développement de l’enfant et l’attitude à adopter par les parents, un questionnaire sur son "type parental" (et la marche à suivre si l’on est plutôt permissif, autoritaire, démocratique ou engagé) ou encore une liste exhaustive à cocher en fonction des atouts que l’on retrouve chez son enfant ainsi qu’un questionnaire pour l’enfant lui-même sur ce qu’il ressent, sur son estime de soi etc.


(1) Enquête nationale Unicef France (2014) ; (2) Enquête 2011 sur la santé des étudiants réalisée par l’institut Harris Interactive pour la SMEREP ; (3) Sondage Ipsos du 8 septembre 2015

D’après un entretien avec Béatrice Millêtre, docteur en psychologie, spécialiste en sciences cognitives, psychothérapeute et auteur du livre « Le Burn-out des enfants, Et si on leur en demandait trop ? » aux éditions Payot & Rivages, Paris, 2016.

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