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Epidémie de troubles musculo-squelettiques, vigilance chez les femmes

Publié le 01/02/18

Le travail, qu’il soit répétitif ou forcé, génère des troubles à la fois du squelette et des muscles regroupés sous le terme de troubles musculo-squelettiques ou TMS. Des millions de travailleurs sont affectés et ce chiffre ne cesse de croître. Une vigilance tout particulière s’impose chez les femmes, où les études laissent à penser que les TMS sont sous-diagnostiqués.

Les TMS, 1er problème de santé au travail dans l’Union Européenne

Gestes répétitifs, intensité des efforts de préhension et de manipulation d’objets/dispositifs ou de manutention de charges, tensions excessives, adoption répétitive ou soutenue de postures inconfortables des membres et du tronc, immobilité posturale responsable de douleurs musculaires cervicales ou de l’omoplate lors du travail sur clavier… la sollicitation trop importante des tissus mous qui entourent les articulations, principalement des membres supérieurs, conduit aux troubles musculo-squelettiques du membre supérieur, une affection très douloureuse. Dans le détail, les TMS recouvrent l’ensemble des tendinites de la coiffe des rotateurs de l’épaule, le syndrome du canal carpien (compression du nerf médian au poignet) et les syndromes douloureux non spécifiques (au niveau des cervicales/cervicalgies, de l’omoplate/scapulalgies, du coude externe/épicondylalgies etc.). Selon les enquêtes européennes, environ un salarié sur deux se plaint de douleur du cou, des épaules ou de lombalgies et près d’un sur quatre déclare ressentir un stress lié au travail pendant la plus grande partie ou la totalité de son temps de travail. En France, les TMS des membres sont la première cause de maladies professionnelles en France avec 40 220 cas indemnisés en 2015 pour les salariés du régime général de la Sécurité sociale. Cela représente près de 80 % des maladies professionnelles (2).

L’influence des facteurs psychosociaux au travail

Les contraintes biomécaniques ne sont pas les seules à entrer en ligne de compte dans les TMS. Le stress aussi. Les mécanismes du stress qui sont extérieurs à la personne associent une perturbation du geste professionnel (gestes saccadés, par exemple) et une augmentation de la charge musculo-squelettique induite par la pression liée au temps, à l’intensification du travail, à la diminution des temps de récupération et des coopérations dans le travail. Mais il a récemment été démontré que le stress intervenait aussi en faisant interagir le système musculo-squelettique avec le système nerveux central de l’individu, le système nerveux végétatif (régulant les fonctions automatiques de l’organisme comme la digestion, la respiration, la circulation etc.), le système de production des hormones notamment (« endocrine ») et le système immunitaire (3-4).

Les pratiques managériales pointées du doigt

Les TMS sont multifactoriels. La susceptibilité de chacun intervient, ainsi que des facteurs professionnels non seulement biomécaniques, mais aussi psychosociaux et liés à l’organisation du travail. Les études sont chaque fois plus nombreuses à désigner la responsabilité des modes d’organisation de la production et du travail ainsi que les pratiques managériales. C’est pourquoi la prévention repose sur des approches complémentaires visant à réduire l’exposition aux facteurs de risques à la source, ceci dès la conception des situations de travail ou, à défaut, par des actions correctrices en fonction des données de l’évaluation des risques. Pr Yves Roquelaure, chercheur au Centre de consultation de pathologie professionnelle (CHU d’Angers) : « Les méthodes d’organisation du travail et de pratiques managériales, en visant à rationaliser les processus de production de biens et de services entraînent une intensification du travail caractérisée par l’accumulation de contraintes physiques, psychosociales et organisationnelles sur un nombre croissant d’ouvriers et d’employés peu qualifiés de l’industrie et des services. La prise en charge doit être à la fois médicale et professionnelle. Une approche préventive globale est nécessaire, incluant la réduction des risques à la source par une action en milieu de travail, le dépistage et la prise en charge précoce des travailleurs et, si besoin, une intervention de maintien en emploi. Contrairement aux idées reçues, il a été démontré qu’en cas d’arrêt de travail, la reprise progressive et précoce du travail sur un poste adapté ergonomiquement à un effet thérapeutique durable sur l’incapacité liée aux TMS ».

Qui est à risque de TMS ?

Les travailleurs les plus à risque de TMS sont ceux exposés à des tâches répétitives réalisées sous contraintes de temps avec peu de marges de manœuvre : d’une part les ouvriers de l’industrie manufacturière ou agro-alimentaire, de la construction et de l’agriculture, et d’autre part, les employées peu qualifiées des services (agents de service, aides-soignantes, aides à domicile, caissières, etc.) (5). Fait nouveau, des TMS sont de plus en plus souvent diagnostiqués par les médecins du travail chez des travailleurs jeunes cumulant emploi précaire et conditions de travail pénibles (6). Certaines caractéristiques personnelles exposent à une vulnérabilité accrue : l’âge, le genre féminin, le patrimoine génétique ayant trait à certains types de protéine des tissus ou (collagène moins résistants), les variations anatomiques des muscles de la main, etc. De plus, des maladies associées, des comorbidités comme l’obésité, le diabète, le rhumatisme inflammatoire, etc. favorisent la survenue de TMS (7).

Les femmes, plus à risque et moins souvent diagnostiquées

Encore aujourd’hui, les troubles musculo-squelettiques chez les femmes sont trop rapidement imputés aux hormones, à une fragilité individuelle ou aux tâches domestiques après leur journée de travail. Or, toutes les études laissent à penser que les TMS sont sous-diagnostiqués, en France, chez les femmes. Selon les données existantes, en Europe, les femmes obtiennent moins de reconnaissance en maladie professionnelle de leurs TMS que les hommes. Si en France, le nombre de cas de troubles musculo-squelettiques reconnus en maladie professionnelle était en 2012 presque aussi élevé chez les femmes (26 438 cas) que chez les hommes (27 577 cas), les femmes, plus vulnérables à ces troubles, devraient logiquement se trouver en plus grand nombre. Il résulte souvent de ce sous-diagnostic un manque de réflexion sur l’adaptation du poste à la morphologie féminine. Chez les femmes, les TMS sont moins facilement reconnus au titre de maladie professionnelle, car les grilles d’analyses des situations de travail sont conçues essentiellement à partir de l’expérience des hommes (voir Tableaux des maladies professionnelles/INRS) (8).

(1) source Eurofound ; (2) Source Cnam-TS ; (3) Aptel M et al, Jt Bone Spine Rev Rhum. déc 2002;69(6):54655; (4) Moisan M-P et al, Med Sci MS. juill 2012;28(67):6127. (5) Brière Jet al. Des indicateurs en santé travail. Les troubles musculo-squelettiques du membre supérieur en France. INVS 2015 ; (6) Roquelaure Y et al. Occup Med Oxf Engl. oct 2012;62(7):5148 ; (7) Lozano-Calderón S et al, J Hand Surg. avr 2008;33(4):52538; (8) http://www.inrs.fr/publications/bdd/mp.html

D’après le rapport à l’Académie Nationale de Médecine du Pr Yves Roquelaure (Centre de consultation de pathologie professionnelle, CHU d’Angers ; INSERM U1085, Institut de recherche en santé environnement et travail (IRSET), Équipe Épidémiologie en santé au travail et ergonomie (ESTER), UFR Santé de l’Université d'Angers).

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