Prévoyance complémentaire : comment fonctionne la portabilité des garanties en cas de rechute après la rupture d’un contrat de travail ?
En cas de rechute postérieurement à la rupture du contrat de travail d‘un salarié percevant à cette occasion des prestations de prévoyance, l’organisme assureur peut-il être sollicité ? C’est à cette question qu’a répondu la Cour de cassation. Chez les juristes, on appelle cela la « création prétorienne du droit ». En des termes moins pompeux, la façon dont la Cour de cassation édicte des règles qui ne sont pas l’application stricte des lois et des décrets. Tel a été le cas en prévoyance, lorsqu’en 2008, les juges ont appliqué au cas de la rupture du contrat de travail les principes de l’article 7 de la loi Evin sur les effets de la résiliation du contrat d’assurance. Treize ans après, par un arrêt du 10 novembre 2021, les hauts magistrats en font une nouvelle application dans le cadre spécifique d’une rechute post rupture du contrat de travail. Une solution qui ne va pas sans poser des difficultés juridiques, techniques et pratiques. Décryptage par Frank WISMER, avocat associé au sein du Cabinet Avanty.
Maître Frank Wismer
Avocat associé, AVANTY Avocats
Publié le
07/02/22
Temps de lecture
4 min
Résiliation du contrat d’assurance / rupture du contrat de travail
Chacun connaît l’article 7 de la loi Evin, selon lequel la résiliation d’un contrat d’assurance est sans effet sur les prestations immédiates ou différées, nées ou acquises durant l’exécution du contrat. Dit autrement, ce texte d’ordre public interdit aux organismes assureurs de prendre prétexte de la résiliation pour cesser le versement des prestations en cours, ou leur évolution ultérieure. Nous avons tous appris à composer avec cette disposition et les multiples questions qu’elle génère telles l’évolution du risque post-résiliation, le sort de la revalorisation des rentes en cours de service, l’incidence de la rechute médicalement constatée, etc.
En 2008, la Cour de cassation a été saisie d’un litige concernant un ancien salarié en arrêt de travail à la date de la rupture de son contrat de travail qui, ultérieurement, était déclaré invalide par la Sécurité sociale. La prise en charge de son invalidité par l’assureur de son ancien employeur est alors débattue. Cet organisme avait dénié sa couverture au motif que l’assuré n’était plus salarié et qu’on ne pouvait lui opposer les termes de l’article 7 de la loi Evin, lequel ne traite que de la résiliation du contrat d’assurance qui, en l’espèce, n’était pas survenue.
Prenant appui sur l’article du Code civil régissant l’exécution de bonne foi des contrats, les Hauts magistrats ont effectué un surprenant « copier/coller », en reproduisant les termes de l’article 7 de la loi Evin et en substituant la notion de « résiliation du contrat d’assurance » par celle de « rupture du contrat de travail ». Cela aboutissait à juger que la rupture du contrat de travail est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution.
Si on pouvait débattre à loisir de la pertinence juridique d’une telle création jurisprudentielle, elle présentait l’avantage de générer une certaine cohérence, notamment à la suite de la création, en 2001, de l’article 7-1 de la loi Evin lequel oblige l’assureur à maintenir la garantie décès tant que perdure l’état d’incapacité ou d’invalidité. Sans cette jurisprudence, un salarié en arrêt de travail qui était licencié pouvait être garanti en décès mais pas en invalidité.
L’approche retenue en 2008 a été par la suite confirmée, et le 10 novembre dernier, les juges ont eu l’occasion de « remettre sur le métier » cette création prétorienne.
Un salarié est victime le 24 février 2012, d’un accident. Son contrat de travail est rompu un mois plus tard. Il perçoit jusqu’en août 2014, date de consolidation de son état de santé, des indemnités complémentaires versées en application du contrat de prévoyance collective que son ex-employeur avait souscrit. Plus de cinq ans après la rupture du contrat de travail, le salarié fait l’objet, d’une rechute de son accident, prise en charge par la caisse d’assurance maladie jusqu’au 1er octobre 2018, date à laquelle il est placé en invalidité deuxième catégorie. L’assureur de son ex-employeur refuse de lui verser la rente correspondante, faisant valoir que le contrat de travail avait été rompu avant la survenance de la rechute de l’accident de travail.
Ce litige présentait le double intérêt de savoir, d’une part, si la Cour de cassation maintenait sa jurisprudence de 2008, et d’autre part, si la rechute telle que constatée par la Sécurité sociale est de nature à constituer une prestation différée qui justifie la prise en charge par l’organisme assureur du précédent employeur. Dans cette affaire, la compagnie d’assurance avait obtenu gain de cause devant la cour d’appel en faisant juger qu’on ne pouvait solliciter les termes de l’article 7 de la loi Evin dans une telle situation, en présence de stipulations contractuelles y dérogeant.
C’est cette approche que la Haute juridiction a cassée en considérant que la rupture du contrat de travail est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant cette relation. Elle ajoute qu’un contrat d’assurance ne peut pas déroger à ce principe jurisprudentiel, qui est donc d’ordre public.
Application
Par le passé, la Cour de cassation avait déjà considéré que l’article 7 pouvait être utilisé dans des cas de rechutes mais dans des hypothèses particulières propres à des contrats collectifs souscrits par des structures publiques. La tentation est alors grande de considérer que dans l’esprit des magistrats, la rechute, sous réserve qu’elle soit bien attestée, justifie le règlement par l’assureur des prestations, que le contrat ait été résilié ou que l’on soit en présence d’un ancien salarié qui a quitté le groupe assuré. Les effets d’un tel arrêt peuvent être significatifs dans la mesure où la rechute peut survenir bien au-delà des délais de prescription, tels qu’ils sont pris en compte, par exemple, pour calculer les provisions pour sinistres inconnus. Il n’est pas dit que les magistrats aient eu forcément en tête cette contrainte technique lorsqu’ils ont tranché le litige.
En toutes hypothèses, la grande différence entre le cas de la rupture du contrat de travail et celle de la résiliation du contrat d’assurance, réside dans le fait que dans ce dernier cas l’existence d’un nouvel organisme assureur génère la bien connue opposition entre les articles 2 et 7 de la loi Evin.
Passionnant débat s’il en est, mais qui ne trouve pas à s’appliquer à la rupture du contrat de travail puisque l’ancien salarié est inconnu d’un éventuel nouvel organisme assureur de l’ex-employeur. C’est déjà cela en moins pour animer les débats de juristes.
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