Santé mentale des jeunes : l’état d’urgence ?
La santé mentale des 11-24 ans ne cesse de se dégrader. Les explications et les conseils du Pr Florian Ferreri, psychiatre.
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Le délai d’adoption des innovations technologiques s’accélère. Par exemple, il aura fallu vingt-deux ans pour que la télévision fasse partie du quotidien contre deux ans seulement pour Facebook ! La plupart des foyers disposent désormais d’au moins un ordinateur voire d’une tablette numérique. La tentation est alors grande de consommer du numérique dès le plus jeune âge.
En France, en 2019, 86 % des 12-17 ans étaient équipés en smartphone (1) et globalement, 93 % des ménages en possédaient en 2017 (2). Cette diffusion résulte d’une diversification liée à l’apparition de produits légers et nomades : la part des ménages équipés d’une tablette tactile est passée de 2 % en 2011 à 42 % en 2017, et celle des ménages équipés en ordinateur portable, netbook ou ultraportable de 48 % à 62 %. Par ailleurs, en 2018, 82 % des ménages résidant en France (hors Mayotte) ont accès à Internet depuis leur domicile.
La dernière étude en date, conduite à Singapour par des chercheurs internationaux dont certains français (publiée en janvier 2020) (3), souligne les dangers d'une exposition trop banalisée des tout-petits à la télévision, aux smartphones et aux tablettes. Elle apporte un argument supplémentaire à ceux qui alertent à propos des dangers des écrans pour les jeunes enfants : plus un enfant passe de temps devant les écrans à l’âge de 2 ans, moins il bouge à 5 ans. D’où l’hypothèse des chercheurs : un enfant s’habitue à la sédentarité à laquelle le contraint l’écran.
Sur le plan de la cognition, la relation entre écran et développement cognitif est complexe à démontrer. Fin 2019, le chercheur en neurosciences Michel Desmurget a publié « La Fabrique du crétin digital » où l’on peut lire que « plus les enfants regardent d’écrans, plus le QI diminue » et que « l’usage récréatif qui en est fait aujourd’hui par les jeunes est débilitant. » Mais tout reste à démontrer, tâche compliquée par les multiples facteurs confondants.
Une étude américaine de mars 2019 (4) tend à montrer un lien réel, mais ténu, entre exposition aux écrans et développement cognitif. Néanmoins, dans cette étude, si ce lien existe bien, il reste moins fort que d’autres facteurs, comme le fait de lire à son enfant ou la qualité de son sommeil. En réalité, les chercheurs craignent surtout que les écrans ne soient un révélateur d’inégalités préexistantes entre les enfants de différents milieux socioculturels, et qu’un développement cognitif moindre serait plutôt dû la sous-stimulation par les parents de leurs enfants, laissés de nombreuses heures devant les écrans.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de limiter à une heure maximum par jour le temps d’écran des enfants de 2 à 5 ans (4). Au-delà, selon l’institution, le risque pour les jeunes de développer surpoids et obésité s’accroît, de même que les difficultés cognitives.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) délivre conseils et astuces pour aider les parents à accompagner leurs enfants dans leurs usages des médias audiovisuels, sur le principe suivant : « à chaque âge, sa pratique des écrans » (5). « Accompagner les enfants dans leur rapport aux écrans permet de les protéger mais aussi d’encourager leur esprit de découverte et développer leur esprit critique », indique Carole Bienaimé Besse, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
A savoir : Pour les jeux vidéo, repérez les pictogrammes européens PEGI (Pan European
Game Information) sur l’emballage. Ils indiquent l’une des classes d’âge suivantes : 3, 7, 12, 16 et 18.
La Société française de pédiatrie s’est officiellement positionnée sur l’utilisation des écrans chez les enfants en 2018 (6).
Cinq messages simples sont proposés dont le premier, « Comprendre sans diaboliser » qu’explique le Dr Georges Picherot, l’un des deux coordinateurs de ces recommandations : « On ne peut pas en effet avoir que des idées négatives. L’idée est de comprendre, d’interpréter en fonction des paramètres familiaux, de ne pas anticiper en remplaçant les besoins des enfants par les désirs des adultes. L’apport des écrans ne doit pas remplacer la culture traditionnelle mais l’accompagner. »
Ensuite, l’objectif étant de privilégier les partages, des écrans sont possibles dans les espaces de vie collective mais pas dans les chambres avant l’adolescence. « Plusieurs constats justifient cette position, poursuit le pédiatre : les écrans ont des effets prouvés sur le sommeil et l’obésité. Le partage parental et familial est la base de la compréhension et de la protection, en particulier vis-à-vis de la sécurité des sites. »
Le troisième message est de savoir faire un break, avec des temps sans aucun écran. Certains temps et lieux devraient être sanctuarisés : repas, sommeil, école -hormis pour les apprentissages-, salles de sport, phases de jeux collectifs. « Oser et accompagner la parentalité pour les écrans » est le quatrième message ; en effet, « la nouveauté des objets ne doit pas être un frein à la gestion parentale des limites, des dangers et de l’importance du respect de l’intimité », détaille l’expert. Enfin, « lutter contre l’isolement » est justifié par le fait que le cyber harcèlement peut conduire à de véritables dépressions, avec un risque de suicide.
Hélène Joubert, journaliste. D’après une interview du Dr Picherot.
(1) Statista 2020
(2)Insee ( https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238583?sommaire=4238635)
(3) https://www.thelancet.com/journals/lanchi/article/PIIS2352-4642(19)30424-9/fulltext
(4) https://www.who.int/es/news-room/detail/24-04-2019-to-grow-up-healthy-children-need-to-sit-less-and-play-more
(5) https://fr.calameo.com/read/004539875578556b6f77f?page=1
(6) https://www.docvadis.fr/files/all/wb87ZzooJ-L2YXU7_6mfJA/20180413_sfp_enfants_et_ecrans_version_francaise.pdf
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